S/S ILE DE FRANCE
Plus grand paquebot
transatlantique au moment de son lancement en France entre
les deux guerres, construit en acier, doté de quatre
hélices, deux mâts et trois cheminées (à l’origine), puis
deux cheminées (après guerre). Mis sur cale d'octobre 1924 à
mai 1927 dans les chantiers navals de Penhoët à
Saint-Nazaire. Construit pour une mise en service sur la
ligne de New York, il est le navire amiral de la flotte de
la Compagnie Générale Transatlantique jusqu’en 1936 (baptême
du S/S NORMANDIE).
En 1912, la Compagnie
Générale Transatlantique avait envisagé de renforcer sa
flotte par quatre grands navires, inaugurés par intervalles
de cinq ans. Le premier, le PARIS, fut lancé en 1916 mais
attendit encore cinq ans pour être achevé.
La construction du second,
ILE DE FRANCE, fut reportée en raison de la Grande Guerre.
Les médailles d’ILE DE FRANCE : Croix
de Guerre avec Palmes, Croix de Chevalier du Mérite
Maritime, faits rarissimes s’agissant d’un navire. Merchant
Gallant Ship Award, décoration américaine, décernée une
seule fois à un navire étranger…
Long de
241,64 m sur 28 m, disposant d’un tirant d’eau de 9,85 m, il
comporte quatre turbines Parsons totalisant 55 000 cv pour
une vitesse en service de 23 nœuds. L’ILE DE FRANCE
accueille 658 passagers en 1ère classe, 398 en 2nde
classe et 498 en 3ème. Il est armé par un
état-major et un équipage de 761 personnes.
Destiné à
remplacer les anciens paquebots LA TOURRAINE et LA LORRAINE,
le S/S ILE DE FRANCE est mis sur cale le samedi
25 octobre 1924. Il sera lancé le dimanche 14 mars 1926 aux
Ateliers et Chantiers de France à Saint Nazaire - Penhoët.
La cérémonie de baptême a lieu le jour même du lancement, sa
marraine étant Madame Fould, son port d’attache Le Havre.
ANDREA DORIA
En 1953,
l’Italie inaugure sur la prestigieuse ligne Gênes-New York son
plus beau et plus grand paquebot, « ANDREA DORIA », équivalent
italien du Queen Elizabeth ou du défunt Normandie.
Le mercredi 25
juillet 1956, à 23h15 et par temps de brouillard, le paquebot
italien ANDREA DORIA ("53 - 29 083tb à la compagnie Italia
de Gênes), arrivant en provenance de Gênes, est éperonné au
large de la côte new-yorkaise par le paquebot suédois STOCKHOLM
(quittant New York).
Entre les phares de Nantucket et
d'Ambrose qui marquent l'entrée du port de New York, un
brouillard épais s'abat. Le capitaine Piero Calamai à sa 101ème
traversées aux commandes de l'Andréa Doria le luxueux paquebot
italien, fait allumer les feux de positions et met en route la
sirène anti-brouillard pour signaler sa présence.
Il augmente aussi le nombre de
vigies car, comme tout bon marin, il n'a qu'une confiance
relative envers l'appareillage moderne, notamment les radars,
dont est équipé son navire. De la salle à manger magnifique
s'échappe de la musique : les passagers fêtent leur dernière
nuit à bord et les pas des danseurs résonnent dans les
coursives. Un navire est signalé à babord, c'est le Stockholm.
Lui-même a remarqué la présence de l'Andréa Doria. Les deux
navirent devraient se croiser sans problème, mais sur babord,
contrairement aux lois de navigation le Stockholm décide alors
de tourner à droite pour croiser le Doria sur tribord. Cependant
une erreur d'interprétation du radar lui fait croire qu'il se
trouve beaucoup plus loin qu'il n'est en réalité du Doria. Le
Doria contre à gauche, mais la collision est inévitable. Sept
des onze compartiments étanches se remplissent d'eau provoquant
l'inclinaison de l'Andréa. Un SOS est immédiatement lancé et le
sauvetage se met en place : 5 bateaux se déroutent.
La gîte de
l’ANDREA DORIA ne permettant pas la mise à l'eau de ses
embarcations de sauvetage pour les mille passagers et
l'équipage, l’état-major du navire émet plusieurs SOS
sollicitant l’intervention de tous les navires croisant dans les
environs.
Le S/S ILE DE
FRANCE, commandé par le baron Raoul de Beaudéan et ayant à son
bord 940 passagers et 826 membres d’équipage, capte l’un
de ces Save Our Souls alors qu’il navigue en direction du Havre
après avoir quitté New York peu avant le départ du Stockholm.
Alors que le Commandant de Beaudéan se trouve au radar, son
officier-radio, Pierre Allanet, gagne la passerelle pour
l’informer de la nouvelle d’un désastre en mer. Allanet vient de
capter un SOS émanant de l’ANDREA DORIA et relayé par un navire
non identifié à 23h30, mais le radio n’a rien capté de l’ANDREA
DORIA même. Le baron de Beaudéan prend connaissance du message
(« SOS AT 0320 GMT LAT. 40-30 N, 69-53 W. NEED IMMEDIATE
ASSISTANCE »). Conscient du fait que l’ILE DE FRANCE se trouve
déjà trop loin du lieu supposé de l’accident, le Commandant
renvoie son officier-radio pour plus d’informations ; tandis
qu’il se renseigne sur la position exacte de son navire. Pierre
Allanet revient ensuite avec des détails supplémentaires, et
informe le Commandant de Beaudéan que l’ANDREA DORIA a été
éperonné par le paquebot STOCKHOLM, et que plusieurs petits
navires se trouvent déjà sur place. Raoul de Beaudéan est alors
confronté au problème le plus important de sa carrière :
prendre
l'initiative de rebrousser chemin alors qu'il n'a pas eu
confirmation du naufrage, enfreignant en cela les règles
imposées par les armateurs, ou poursuivre sa traversée vers la
France. Son geste sera d'autant plus important que cela ne fait
pas plus d’un mois qu'il commande l’ILE DE FRANCE, et qu’il
risque de remettre en cause ses 35 ans de carrière.
En effet, aucun des messages ne mentionne le fait que l’ANDREA
DORIA soit en train de sombrer. Mais il y a des SOS demandant
une assistance immédiate, et il ne peut les ignorer. Son
hésitation concerne le fait que l’ILE DE FRANCE ne soit
peut-être pas indispensable pour un éventuel sauvetage, sachant
de surcroît qu’il n’a pas l’obligation de porter assistance au
naufragé. De Baudéan est cependant conscient de l’appel au
secours. Or, s’il venait à porter secours aux naufragés alors
que son transatlantique très gourmant en consommation de fuel
n’était pas indispensable au sauvetage, comment allait-il
l’expliquer à la Compagnie Générale Transatlantique ? S’il était
indispensable, la direction de la French Line ne lui
reprocherait jamais son intervention.
En définitif, la responsabilité de prendre une quelconque
décision ne revient qu’au Commandant de Beaudéan, « seul maître
à bord après Dieu » (comme dira de lui plus tard le Ministre
français de la Marine Marchande). A 23h40, ILE DE FRANCE demande
par message-radio à l’ANDREA DORIA de lui confirmer son besoin
d’assistance immédiate (« DO YOU NEED ASSISTANCE »). ANDREA
DORIA réplique immédiatement par l’affirmative (« NEED IMMEDIATE
ASSISTANCE »), mais ILE DE FRANCE ne reçoit pas ce dernier
message en raison d’un problème de communication. ILE DE FRANCE
s’adresse alors au STOCKHOLM, qui lui répond ne pouvoir
participer à un quelconque sauvetage des passagers de l’ANDREA
DORIA, en raison de sa propre situation critique. ILE DE FRANCE
reçoit bientôt des messages d’autres navires lui signifiant que
l’ANDREA DORIA a effectivement un besoin immédiat d’assistance.
Le baron Raoul de Beaudéan prend alors sa décision de se porter
au secours du naufragé,
sans en
référer à sa direction à Paris afin de gagner du temps.
Il manoeuvre ILE DE FRANCE pour un virement de bord (150°) et
met immédiatement le cap, lançant son navire à
toute allure dans la brume, sur
le lieu de la collision
distant de 44 miles
(?). A 23h54, onze minutes après son premier message pour
l’ANDREA DORIA, le Commandant de Beaudéan radio-télégraphie au
Commandant de l’ANDREA DORIA (« CAPTAIN ANDREA DORIA – I AM
GOING TO ASSIST YOU – WILL REACH YOUR POSITION 5:35 GMT (1:35 am).
ARE YOU SINKING ? WHAT KIND OF ASSISTANCE DO YOU NEED ? –
CAPTAIN [ILE DE FRANCE] »).
Aucune réponse ne vient de l’ANDREA DORIA, mais un petit navire
se trouvant sur le lieu de la scène relaie « SOS MESSAGE – DORIA
WANTS TO DISEMBARK 1500 PASSENGERS AND CREW.
SUGGEST STRONGLY YOU HAVE ALL YOUR LIFEBOATS READY TO ASSIST ».
Le Commandant Raoul de Beaudéan s’adresse à la salle des
machines, et demande à ce que la vitesse de son paquebot soit
portée au maximum. Il demande également à son second-capitaine,
le Commandant-en-second Christian Pettre, à ce que les
embarcations et équipes de sauvetage se tiennent prêtes à
intervenir, en veillant attentivement à ne pas affoler les
passagers de l’ILE DE FRANCE. L’équipage répond à l’appel de son
Commandant avec esprit et enthousiasme. Les nouvelles de la
collision se répandent à travers tout l’équipage, et la plupart
des membres se trouvant au repos après une journée de travail
prennent part aux mesures d’urgence.
Une heure et cinq minutes après la collision, le STOCKHOLM
reçoit un appel de détresse de l’ANDREA DORIA : « YOU ARE ONE
MILE FROM US.
PLEASE IF POSSIBLE. COME IMMEDIATELY TO PICK UP OUR PASSENGERS
MASTER. »
Le Commandant suédois ne compris pas de suite pourquoi l’ANDREA
DORIA se trouvait dans l’impossibilité de lancer ses propres
canots de sauvetage, et il ne put se résoudre à mettre à l’eau
ceux du STOCKHOLM (également avarié, mais beaucoup moins
dramatiquement), ne désirant pas mettre en péril la vie de ses
propres passagers. Il radio-télégraphie à l’ANDREA DORIA : «
HERE BADLY DAMAGED.
THE WHOLE BOW CRUSHED. NUMBER ONE HOLD FILLED WITH WATER. HAVE
TO STAY IN OUR PRESENT POSITION. IF YOU CAN LOWER YOUR BOATS. WE
CAN PICK YOU UP MASTER. »
Une minute plus tard, à minuit vingt-et-un, ANDREA DORIA
réplique : « YOU HAVE TO ROW TO US. »
Et une minute plus tard, le STOCKHOM répond : «LOWER YOUR
LIFEBOATS. WE CAN PICK YOU UP. »
Treize minutes plus tard, le Commandant italien de l’ANDREA
DORIA envoie une explication avec un nouvel appel de détresse («
WE ARE BENDING [listing] TOO MUCH.
IMPOSSIBLE TO PUT BOATS OVER SIDE. PLEASE SEND LIFEBOATS
IMMEDIATELY»).
Le Commandant du STOCKHOLM s’entretient avec ses seconds, puis
répond à l’ANDREA DORIA que la plupart de ses canots seront à
l’eau d’ici quarante minutes.
Le STOCKHOLM
Plus tard, à
05h45, tandis qu’ILE DE FRANCE approche des lieux de la
collision, ANDREA DORIA est déjà couché sur le flanc.
Le Commandant
Raoul de Beaudéan fait alors illuminer intégralement ILE DE
FRANCE, acte en principe uniquement autorisé à quai, afin
d’apaiser les passagers naufragés apercevant au loin dans la
brume les formes de son bâtiment, de calmer la panique et de
leur ramener l'espoir au cœur
A 07 heures du
matin, ILE DE FRANCE, qui a stoppé à 400 mètres du navire en
détresse et qui a lancé ses embarcations de sauvetage à la mer,
recueille progressivement à son bord sept cent cinquante trois
rescapés, certains accrochés au bastingage du navire éperonné.
Peu après la fin du sauvetage, ANDREA DORIA coule (« mutilant le
rêve de tout un pays, l’Italie », selon un chroniqueur de
l’époque). Perpétuant son histoire, ILE DE FRANCE confirme son
surnom de « Saint-Bernard
».
Grâce à lui 750 naufragés seront
sauvés. Les 46 morts à déplorés furent tués par l'impact du
Stockholm. Le naufrage de l'Andréa Doria eut d'autant plus de
retentissement que le navire avait été conçu afin d'éviter les
erreurs du passé. Ne fut-ce pas déjà le cas, en 1912 d'un
certain Titanic.
Le baron de Beaudéan
fait ensuite
demi-tour et regagne New York.
Bien que
l’arrivée triomphale à New York (bateaux-pompe et jets d’eau,
remorqueurs, sirènes, aviation, presse) d’un paquebot soit
uniquement réservée au voyage inaugural, le jeudi 26 juillet
1956, rebroussant chemin sur New York avec ses 753 rescapés
d’ANDREA DORIA attendus par leurs proches, ILE DE FRANCE reçoit,
fait unique au monde dans l’histoire maritime !,
une troisième arrivée triomphale (avec bateaux-pompes, jets
d’eau, sirènes, ….).
Aussitôt après
avoir accosté triomphalement dans le port New-Yorkais et après
avoir débarqué les naufragés, le Commandant de Beaudéan veut
repartir aussitôt vers l’Europe pour ne pas retarder davantage
ses propres passagers, mais son paquebot est pris d’assaut toute
une nuit durant par une foule en liesse -exceptionnelle
publicité qui ravit la direction générale de la Compagnie
Générale Transatlantique à Paris!- et ne pourra appareiller que
le lendemain !
Associé à ses
lecteurs, le grand journal italien « Il Tempo » fera
frapper une médaille pour ILE DE FRANCE.
Le nombre de victimes du naufrage de l’ANDREA
DORIA ne fut en effet réduit que grâce à l'héroïque intervention
du navire commandé par de Beaudéan. ILE DE FRANCE reçut en outre
la Croix de Chevalier du Mérite Maritime et la Merchant Gallant
Ship Award, décoration américaine, qui n'avait jusque là été
remise qu'à neuf navires ayant participé à des actions d'éclat
durant la seconde Guerre mondiale. L'ILE DE FRANCE fut le seul
navire à recevoir cette distinction en temps de paix,
distinction décernée pour la première fois à un bateau étranger.
Le mardi 26 février
1957, au cours d’une croisière dans les
Antilles, l'Île de France s'échoue par l'arrière
sur un fond rocheux de la baie de Fort-de-France
(Martinique). La coque ne souffre pas de
l'accident, mais les hélices et le gouvernail
sont endommagés. Le transatlantique interrompt
sa croisière. Remorqué à Newport News, puis à
New York, Île de France reprend la mer le
mercredi 1er mai pour Le Havre.
Le dimanche 17
novembre 1958, l'Île de France achève son
dernier voyage sur la ligne de New York.
Le 26 février
1959, à 10 heures du matin, Île de France
franchit pour la dernière fois les digues du
Havre, salué à la corne de brume par tous les
navires présents. Au terme d'une vie
mouvementée, il est vendu à la démolition au
Japon pour 450.000 £ et prend pour son dernier
voyage le nom traduit de Furanza Maru (navire
français ?).
L'Île de France,
vendu à des Japonais pour la casse a été démoli
par les
chantiers d'Osaka.
L'épave de l'Andréa
Doria repose désormais en pleine mer par 75 m de
fond à 45 milles au SE de l'île de
Nantucket.