Compagnie Générale Transatlantique
S/S   «  ILE  DE  FRANCE  »
1926 – 1959

Assemblage du récit et photos  F6DDR sources Historiques :  X. Maillard, ocean svell et greatships

SOS  SOS  SOS

Destin de deux magnifiques paquebots transatlantiques
 ILE DE FRANCE &  ANDREA DORIA

 

 

ILE DE FRANCE

 

S/S ILE DE FRANCE

Plus grand paquebot transatlantique au moment de son lancement en France entre les deux guerres, construit en acier, doté de quatre hélices, deux mâts et trois cheminées (à l’origine), puis deux cheminées (après guerre). Mis sur cale d'octobre 1924 à mai 1927 dans les chantiers navals de Penhoët à Saint-Nazaire. Construit pour une mise en service sur la ligne de New York, il est le navire amiral de la flotte de la Compagnie Générale Transatlantique jusqu’en 1936 (baptême du S/S NORMANDIE). En 1912, la Compagnie Générale Transatlantique avait envisagé de renforcer sa flotte par quatre grands navires, inaugurés par intervalles de cinq ans. Le premier, le PARIS, fut lancé en 1916 mais attendit encore cinq ans pour être achevé.

La construction du second, ILE DE FRANCE, fut reportée en raison de la Grande Guerre. Les médailles d’ILE DE FRANCE : Croix de Guerre avec Palmes, Croix de Chevalier du Mérite Maritime, faits rarissimes s’agissant d’un navire. Merchant Gallant Ship Award, décoration américaine, décernée une seule fois à un navire étranger…

Long de 241,64 m sur 28 m, disposant d’un tirant d’eau de 9,85 m, il comporte quatre turbines Parsons totalisant 55 000 cv pour une vitesse en service de 23 nœuds. L’ILE DE FRANCE accueille 658 passagers en 1ère classe, 398 en 2nde classe et 498 en 3ème. Il est armé par un état-major et un équipage de 761 personnes. 

Destiné à remplacer les anciens paquebots LA TOURRAINE et LA LORRAINE, le S/S ILE DE FRANCE est mis sur cale le samedi 25 octobre 1924. Il sera lancé le dimanche 14 mars 1926 aux Ateliers et Chantiers de France à Saint Nazaire - Penhoët. La cérémonie de baptême a lieu le jour même du lancement, sa marraine étant Madame Fould, son port d’attache Le Havre.

 

ANDREA DORIA

En 1953, l’Italie inaugure sur la prestigieuse ligne Gênes-New York son plus beau et plus grand paquebot, « ANDREA DORIA », équivalent italien du Queen Elizabeth ou du défunt Normandie.

Le mercredi 25 juillet 1956, à 23h15 et par temps de brouillard, le paquebot italien ANDREA DORIA ("53 - 29 083tb à la compagnie Italia de Gênes), arrivant en provenance de Gênes, est éperonné au large de la côte new-yorkaise par le paquebot suédois STOCKHOLM (quittant New York).

Entre les phares de Nantucket et d'Ambrose qui marquent l'entrée du port de New York, un brouillard épais s'abat. Le capitaine Piero Calamai à sa 101ème traversées aux commandes de l'Andréa Doria le luxueux paquebot italien, fait allumer les feux de positions et met en route la sirène anti-brouillard pour signaler sa présence.

Il augmente aussi le nombre de vigies car, comme tout bon marin, il n'a qu'une confiance relative envers l'appareillage moderne, notamment les radars, dont est équipé son navire. De la salle à manger magnifique s'échappe de la musique : les passagers fêtent leur dernière nuit à bord et les pas des danseurs résonnent dans les coursives. Un navire est signalé à babord, c'est le Stockholm. Lui-même a remarqué la présence de l'Andréa Doria. Les deux navirent devraient se croiser sans problème, mais sur babord, contrairement aux lois de navigation le Stockholm décide alors de tourner à droite pour croiser le Doria sur tribord. Cependant une erreur d'interprétation du radar lui fait croire qu'il se trouve beaucoup plus loin qu'il n'est en réalité du Doria. Le Doria contre à gauche, mais la collision est inévitable. Sept des onze compartiments étanches se remplissent d'eau provoquant l'inclinaison de l'Andréa. Un SOS est immédiatement lancé et le sauvetage se met en place : 5 bateaux se déroutent.

La gîte de l’ANDREA DORIA ne permettant pas la mise à l'eau de ses embarcations de sauvetage pour les mille passagers et l'équipage, l’état-major du navire émet plusieurs SOS sollicitant l’intervention de tous les navires croisant dans les environs.

Le S/S ILE DE FRANCE, commandé par le baron Raoul de Beaudéan et ayant à son bord 940 passagers et 826 membres d’équipage, capte l’un de ces Save Our Souls alors qu’il navigue en direction du Havre après avoir quitté New York peu avant le départ du Stockholm. Alors que le Commandant de Beaudéan se trouve au radar, son officier-radio, Pierre Allanet, gagne la passerelle pour l’informer de la nouvelle d’un désastre en mer. Allanet vient de capter un SOS émanant de l’ANDREA DORIA et relayé par un navire non identifié à 23h30, mais le radio n’a rien capté de l’ANDREA DORIA même. Le baron de Beaudéan prend connaissance du message (« SOS AT 0320 GMT LAT. 40-30 N, 69-53 W. NEED IMMEDIATE ASSISTANCE »). Conscient du fait que l’ILE DE FRANCE se trouve déjà trop loin du lieu supposé de l’accident, le Commandant renvoie son officier-radio pour plus d’informations ; tandis qu’il se renseigne sur la position exacte de son navire. Pierre Allanet revient ensuite avec des détails supplémentaires, et informe le Commandant de Beaudéan que l’ANDREA DORIA a été éperonné par le paquebot STOCKHOLM, et que plusieurs petits navires se trouvent déjà sur place. Raoul de Beaudéan est alors confronté au problème le plus important de sa carrière : prendre l'initiative de rebrousser chemin alors qu'il n'a pas eu confirmation du naufrage, enfreignant en cela les règles imposées par les armateurs, ou poursuivre sa traversée vers la France. Son geste sera d'autant plus important que cela ne fait pas plus d’un mois qu'il commande l’ILE DE FRANCE, et qu’il risque de remettre en cause ses 35 ans de carrière.

En effet, aucun des messages ne mentionne le fait que l’ANDREA DORIA soit en train de sombrer. Mais il y a des SOS demandant une assistance immédiate, et il ne peut les ignorer. Son hésitation concerne le fait que l’ILE DE FRANCE ne soit peut-être pas indispensable pour un éventuel sauvetage, sachant de surcroît qu’il n’a pas l’obligation de porter assistance au naufragé. De Baudéan est cependant conscient de l’appel au secours. Or, s’il venait à porter secours aux naufragés alors que son transatlantique très gourmant en consommation de fuel n’était pas indispensable au sauvetage, comment allait-il l’expliquer à la Compagnie Générale Transatlantique ? S’il était indispensable, la direction de la French Line ne lui reprocherait jamais son intervention.

En définitif, la responsabilité de prendre une quelconque décision ne revient qu’au Commandant de Beaudéan, « seul maître à bord après Dieu » (comme dira de lui plus tard le Ministre français de la Marine Marchande). A 23h40, ILE DE FRANCE demande par message-radio à l’ANDREA DORIA de lui confirmer son besoin d’assistance immédiate (« DO YOU NEED ASSISTANCE »). ANDREA DORIA réplique immédiatement par l’affirmative (« NEED IMMEDIATE ASSISTANCE »), mais ILE DE FRANCE ne reçoit pas ce dernier message en raison d’un problème de communication. ILE DE FRANCE s’adresse alors au STOCKHOLM, qui lui répond ne pouvoir participer à un quelconque sauvetage des passagers de l’ANDREA DORIA, en raison de sa propre situation critique. ILE DE FRANCE reçoit bientôt des messages d’autres navires lui signifiant que l’ANDREA DORIA a effectivement un besoin immédiat d’assistance.

Le baron Raoul de Beaudéan prend alors sa décision de se porter au secours du naufragé, sans en référer à sa direction à Paris afin de gagner du temps. Il manoeuvre ILE DE FRANCE pour un virement de bord (150°) et met immédiatement le cap, lançant son navire à toute allure dans la brume, sur le lieu de la collision distant de 44 miles (?). A 23h54, onze minutes après son premier message pour l’ANDREA DORIA, le Commandant de Beaudéan radio-télégraphie au Commandant de l’ANDREA DORIA (« CAPTAIN ANDREA DORIA – I AM GOING TO ASSIST YOU – WILL REACH YOUR POSITION 5:35 GMT (1:35 am). ARE YOU SINKING ? WHAT KIND OF ASSISTANCE DO YOU NEED ? – CAPTAIN [ILE DE FRANCE] »). Aucune réponse ne vient de l’ANDREA DORIA, mais un petit navire se trouvant sur le lieu de la scène relaie « SOS MESSAGE – DORIA WANTS TO DISEMBARK 1500 PASSENGERS AND CREW. SUGGEST STRONGLY YOU HAVE ALL YOUR LIFEBOATS READY TO ASSIST ».

Le Commandant Raoul de Beaudéan s’adresse à la salle des machines, et demande à ce que la vitesse de son paquebot soit portée au maximum. Il demande également à son second-capitaine, le Commandant-en-second Christian Pettre, à ce que les embarcations et équipes de sauvetage se tiennent prêtes à intervenir, en veillant attentivement à ne pas affoler les passagers de l’ILE DE FRANCE. L’équipage répond à l’appel de son Commandant avec esprit et enthousiasme. Les nouvelles de la collision se répandent à travers tout l’équipage, et la plupart des membres se trouvant au repos après une journée de travail prennent part aux mesures d’urgence.

Une heure et cinq minutes après la collision, le STOCKHOLM reçoit un appel de détresse de l’ANDREA DORIA : « YOU ARE ONE MILE FROM US. PLEASE IF POSSIBLE. COME IMMEDIATELY TO PICK UP OUR PASSENGERS MASTER. » Le Commandant suédois ne compris pas de suite pourquoi l’ANDREA DORIA se trouvait dans l’impossibilité de lancer ses propres canots de sauvetage, et il ne put se résoudre à mettre à l’eau ceux du STOCKHOLM (également avarié, mais beaucoup moins dramatiquement), ne désirant pas mettre en péril la vie de ses propres passagers. Il radio-télégraphie à l’ANDREA DORIA : « HERE BADLY DAMAGED. THE WHOLE BOW CRUSHED. NUMBER ONE HOLD FILLED WITH WATER. HAVE TO STAY IN OUR PRESENT POSITION. IF YOU CAN LOWER YOUR BOATS. WE CAN PICK YOU UP MASTER. »   Une minute plus tard, à minuit vingt-et-un, ANDREA DORIA réplique : « YOU HAVE TO ROW TO US. »  Et une minute plus tard, le STOCKHOM répond : «LOWER YOUR LIFEBOATS. WE CAN PICK YOU UP. »   Treize minutes plus tard, le Commandant italien de l’ANDREA DORIA envoie une explication avec un nouvel appel de détresse (« WE ARE BENDING [listing] TOO MUCH. IMPOSSIBLE TO PUT BOATS OVER SIDE. PLEASE SEND LIFEBOATS IMMEDIATELY»). Le Commandant du STOCKHOLM s’entretient avec ses seconds, puis répond à l’ANDREA DORIA que la plupart de ses canots seront à l’eau d’ici quarante minutes.

Le STOCKHOLM

 

 Plus tard, à 05h45, tandis qu’ILE DE FRANCE approche des lieux de la collision, ANDREA DORIA est déjà couché sur le flanc.

Le Commandant Raoul de Beaudéan fait alors illuminer intégralement ILE DE FRANCE, acte en principe uniquement autorisé à quai, afin d’apaiser les passagers naufragés apercevant au loin dans la brume les formes de son bâtiment, de calmer la panique et de leur ramener l'espoir au cœur

A 07 heures du matin, ILE DE FRANCE, qui a stoppé à 400 mètres du navire en détresse et qui a lancé ses embarcations de sauvetage à la mer, recueille progressivement à son bord sept cent cinquante trois rescapés, certains accrochés au bastingage du navire éperonné. Peu après la fin du sauvetage, ANDREA DORIA coule (« mutilant le rêve de tout un pays, l’Italie », selon un chroniqueur de l’époque). Perpétuant son histoire, ILE DE FRANCE confirme son surnom de « Saint-Bernard ».

Grâce à lui 750 naufragés seront sauvés. Les 46 morts à déplorés furent tués par l'impact du Stockholm. Le naufrage de l'Andréa Doria eut d'autant plus de retentissement que le navire avait été conçu afin d'éviter les erreurs du passé. Ne fut-ce pas déjà le cas, en 1912 d'un certain Titanic.

Le baron de Beaudéan fait ensuite demi-tour et regagne New York.

Bien que l’arrivée triomphale à New York (bateaux-pompe et jets d’eau, remorqueurs, sirènes, aviation, presse) d’un paquebot soit uniquement réservée au voyage inaugural, le jeudi 26 juillet 1956, rebroussant chemin sur New York avec ses 753 rescapés d’ANDREA DORIA attendus par leurs proches, ILE DE FRANCE reçoit, fait unique au monde dans l’histoire maritime !, une troisième arrivée triomphale (avec bateaux-pompes, jets d’eau, sirènes, ….).

 

Aussitôt après avoir accosté triomphalement dans le port New-Yorkais et après avoir débarqué les naufragés, le Commandant de Beaudéan veut repartir aussitôt vers l’Europe pour ne pas retarder davantage ses propres passagers, mais son paquebot est pris d’assaut toute une nuit durant par une foule en liesse -exceptionnelle publicité qui ravit la direction générale de la Compagnie Générale Transatlantique à Paris!- et ne pourra appareiller que le lendemain !

Associé à ses lecteurs, le grand journal italien « Il Tempo » fera frapper une médaille pour ILE DE FRANCE. Le nombre de victimes du naufrage de l’ANDREA DORIA ne fut en effet réduit que grâce à l'héroïque intervention du navire commandé par de Beaudéan. ILE DE FRANCE reçut en outre la Croix de Chevalier du Mérite Maritime et la Merchant Gallant Ship Award, décoration américaine, qui n'avait jusque là été remise qu'à neuf navires ayant participé à des actions d'éclat durant la seconde Guerre mondiale. L'ILE DE FRANCE fut le seul navire à recevoir cette distinction en temps de paix, distinction décernée pour la première fois à un bateau étranger.

 

Le mardi 26 février 1957, au cours d’une croisière dans les Antilles, l'Île de France s'échoue par l'arrière sur un fond rocheux de la baie de Fort-de-France (Martinique). La coque ne souffre pas de l'accident, mais les hélices et le gouvernail sont endommagés. Le transatlantique interrompt sa croisière. Remorqué à Newport News, puis à New York, Île de France reprend la mer le mercredi 1er mai pour Le Havre.

Le dimanche 17 novembre 1958, l'Île de France achève son dernier voyage sur la ligne de New York.

Le 26 février 1959, à 10 heures du matin, Île de France franchit pour la dernière fois les digues du Havre, salué à la corne de brume par tous les navires présents. Au terme d'une vie mouvementée, il est vendu à la démolition au Japon pour 450.000 £ et prend pour son dernier voyage le nom traduit de Furanza Maru (navire français ?).

L'Île de France, vendu à des Japonais pour la casse a été démoli par les chantiers d'Osaka.

L'épave de l'Andréa Doria repose désormais en pleine mer par 75 m de fond à  45 milles au SE de l'île de Nantucket.

 

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