Assemblage du récit et photos avec l'aimable autorisation de l'auteur F5LBD

 

Une vie, une Passion

Michel F5LBD

 

Je suis né en 1930. Après des années d'études primaires, de 1935 à 1944, j'ai quitté l'école à 14 ans, comme beaucoup de mes camarades à cette époque et je suis entré immédiatement dans la vie active comme ouvrier.

A 18 ans, j’étais bien évidement sans qualification. Papa rêvait de me faire faire des études afin de devenir dépanneur radio : "tu pourras être comme Monsieur B.., c'est un métier intéressant", disait-il. Monsieur B.., c'était le dépanneur TSF du coin.

Oui mais, comment faire ? Des études payantes n'étaient pas envisageables, alors ? La solution : m'engager dans les Transmissions de l'Armée de Terre par exemple.

C'est ainsi qu'au mois de juin 1948, à l'âge de 18 ans, je me suis engagé au 118ème Bataillon de Transmissions à Nancy.

Ce n'était pas si simple de réaliser ce rêve de devenir dépanneur radio ; je n'avais aucune formation en radioélectricité. Et puis, engagé à cette époque, on ne vous demandait pas vos desideratas.

J'ai d'abord été affecté à la section fil, comme monteur de lignes téléphoniques. Monter à des poteaux, cela ne me plaisait guère. Après quelques semaines, j'ai eu l'audace (eh oui ! l'audace, car on ne vous permettait pas trop de réclamer à cette époque), de demander à être versé à la section radio.

C'est à ce moment-là que j'ai commencé à apprendre la lecture au son du Morse.

Il fallait former beaucoup de radiotélégraphistes et c'est sans doute pour cela qu'il m'a été aussi facile de changer de spécialité. Je pensais déjà au Morse audio en 1948, quelques mois avant mes 18 ans. Je regardais les signes du Morse dans le dictionnaire.

Je m'imaginais (idée farfelue) que l'on pouvait écrire le Morse en sténo. J'apprenais, en même temps que les signes graphiques points et traits du Morse, la sténo méthode Delaunay. Lorsque je partais au travail le matin, je récitais le Morse dans ma tête. Mais, bien sûr, je ne récitais pas le son, je n'avais aucune idée de ce que c'était. J'avais vaguement entendu dire que le son du A était : " didah " mais quant à le reconnaître, les oreilles sur les ondes courtes du poste de TSF, je n'en n'étais pas à ce stade.

Sur le poste de TSF familial, j'entendais parfois des sons, peut-être du Morse ? C'était en tous cas incompréhensible pour moi.

Lorsque j'ai été affecté à la section Radio du 118ème B.T. à Nancy, l'apprentissage du Morse ne ressemblait évidemment en rien à l'idée (fausse) que je m'en étais faite.

Les sapeurs radiotélégraphistes de la section radio (on les appelait encore ainsi à l'époque), avaient commencé à apprendre le Morse quatre mois plus tôt. Il fallait, en quelque sorte, que je comble mon retard.

Pour mes débuts d'apprentissage du Morse, j'ai eu un Sergent instructeur pour moi tout seul pendant plusieurs semaines. Ensuite, deux autres engagés sont arrivés. Bien sûr, nous ne faisions pas que de la radio, nous suivions aussi des cours d'instruction militaire.

Les premières séances de lecture au son, j'ai bien cru que je ne parviendrais jamais à décrypter du Morse audio. (Je précise audio, pour bien faire la différence avec le Morse optique, pour lequel on lit traits et points, alors que pour le Morse audio on doit écouter uniquement le son de chaque caractère).

Les premiers jours, je n'entendais qu'une suite de sons, sans distinguer les dit (points) des dah (traits).

Ensuite, j’ai eu pour instructeur le Sergent Valentin ; j'ai commencé à reconnaître les sons des caractères lettres, chiffres etc..

A partir de ce moment, tout a été très vite. J'ai appris par cœur le son de chaque caractère en peu de temps. Après huit à quinze jours, je lisais à VMH 600 (10 mots/min). Le cap des 800, 900 mots à l’heure fut franchi après deux à trois mois.

Mais pas celui de la manipulation !

Nous apprenions aussi à utiliser le poste de campagne SCR 399 qui comprenait : un émetteur BC 610 d'une puissance de 400 watts en graphie, les récepteurs BC 342, BC 312 ainsi que de nombreux accessoires. Il fallait aussi apprendre la procédure radiotélégraphique, les codes.

Insigne du 118 ème bataillon de Transmissions de Nancy (1948)

Après deux mois de service, j'ai passé avec succès un premier examen technique radio et j'ai obtenu le Diplôme n° 151/ Trans (Opérateur de poste Radiotélégraphique de Campagne) à Nancy le 18 août 1948.

Nous n'étions pas peu fiers, les titulaires de ce Diplôme ! Nous étions autorisés à porter, enfilé sur la patte d'épaule du blouson kaki, l'insigne noir en étoffe avec les lettres TSF en rouge.

Ce même insigne existait en couleur or. Mais pour être autorisé à le porter, il fallait avoir réussi les épreuves du CERTIFICAT N° 251 / TRANS. Je ne devais obtenir ce certificat que bien plus tard, pendant mon séjour au Cambodge en février 1951.

Pendant notre apprentissage de lecture au son du Morse, nous avions aussi des séances d'entraînement à la manipulation de Morse, uniquement avec le manipulateur vertical type PTT. L'instructeur écoutait notre manipulation et attribuait une note sur 20.

Et c'est ainsi, sans doute avec une formation insuffisante en durée, qu'un jour d'automne 1948, j'étais opérateur radio dans un shelter équipé d'un SCR 399 avec un Sergent pour chef de poste. Nous étions détachés pour les liaisons radio entre Lille et Nancy.

Notre véhicule GMC était garé au fond du parc des : « Grands Bureaux des Mines » à LILLE pour assurer la liaison radio avec Nancy.

Un soir, alors que le Sergent était en permission de spectacle, j'étais de service à la radio dans le shelter. Je devais assurer seul, pour la première fois, la liaison avec Nancy. C'était QRU (c’est-à-dire sans trafic) à chaque rendez-vous avec Nancy depuis plusieurs jours. C'est assez ému que je mis les appareils sous tension, pour le rendez-vous avec Nancy à l'heure prévue.

Je n'avais aucune expérience de trafic sur les ondes.

L'opérateur de Nancy m'a annoncé QTC (j’ai un message pour vous).

Avec une manipulation hésitante et tremblante, je lui ai transmis : " QRV " (je suis prêt à copier). Il m'a transmis un message manipulé rapidement, tellement rapidement que je n'ai rien copié. Je lui ai demandé de répéter le QTC (message) : " QRS " (veuillez manipuler plus lentement). C'est alors qu'il m'a transmis, répété plusieurs fois, un code de l'époque qui signifiait : "Changez d'opérateur, mettez un opérateur qualifié ".

J’étais très paniqué. Finalement, j'ai cessé de lui répondre et j'ai attendu que le Sergent rentre de permission vers les 23 heures.

Quand ce dernier est arrivé, je lui ai raconté ce qui s'était passé ; il n'a fait aucun commentaire. Il a appelé l'opérateur de Nancy et s'est mis à trafiquer avec lui à une grande vitesse. Je n'ai rien compris des échanges et je me demandais bien si j'arriverais à trafiquer un jour ?

De retour à Nancy, les cours radio ont repris en salle.

Une courte permission au moment de Noël et, à mon retour, j'ai appris que j'étais désigné pour effectuer un séjour en Indochine.

A partir de ce moment, j'ai manqué les cours certains jours, j'étais plus souvent à regarder et à écouter trafiquer un radiotélégraphiste professionnel dans le civil. Ce dernier faisait son service militaire et, ses classes terminées, il assurait maintenant le trafic radio avec des stations dispersées dans la région. J'allais souvent dans cette salle de trafic radio où il y avait très rarement des visites d'autorités. Je ne me lassais pas d'écouter le trafic échangé et de regarder faire l'opérateur.

Peu de semaines après, je partais en Indochine.

J'avais appris certaines choses, certains comportements : par exemple un calme exemplaire de la part de l’opérateur..

Mais je n’avais toujours pas de pratique.

Au début de mon séjour au Cambodge, j’ai été incorporé dans une équipe qui assurait l'écoute permanente d'une fréquence. Chacun notre tour, nous assurions un quart de jour ou de nuit. Nous devions répondre aux appels éventuels de stations dispersées dans la nature, dont nous avions la liste, stations susceptibles d'appeler, surtout en cas de péril, d'attaques des rebelles.., de messages urgents..

 

À l'époque de la colonisation, on appelait cette région l'Indochine française.

Quelques informations pour mieux situer cette belle partie de la planète

Ce sont des pays essentiellement tropicaux, donc très chauds, avec deux saisons seulement: la saison sèche et la saison humide (la mousson).  Le Cambodge est constitué par une grande plaine entourée de montagnes et les deux autres pays sont montagneux et recouverts de jungle.

Le Mékong est le troisième fleuve de l’Asie par le débit - après le Yangzi Jiang et le Gange - il est aussi le huitième du monde

Le Mékong se sépare à Phnom Penh (Cambodge) en deux branches: le Mékong proprement dit et le Bassac. Les deux branches s'écoulent vers le Viêt Nam ou elles se ramifient et forment un réseau hydraulique dense dont le courant se réduit et qui alluvionne, formant au Viêt Nam un delta très fertile, très riche pôle de production agricole et en particulier rizicole. Le delta du Mékong couvre 55 000 km² et héberge 18 millions d'habitants.

L'amplitude des marées est très importante dans le delta du Mékong, qui a une pente très faible. La marée haute en mer de Chine méridionale est le plus souvent plus haute que la marée basse sur le Mékong au Cambodge, et donc le courant s'inverse presque à chaque cycle de marée.

Le débit moyen du Mékong est de l'ordre de 15 000 m³/s, mais son débit de pointe, à marée descendante, peut atteindre dix fois la moyenne en période de crue (octobre). À marée montante, le coin salé peut remonter le Mékong jusqu'à soixante kilomètres de l'embouchure.

Un jour, après minuit, appels d'une station, QTC (message) chiffré très urgent.

Phnom-Penh - Cambodge le 14/12/1949
Le Poste de Radio de sécurité
Michel F5LBD au trafic

Je transmet QRV et, comme à LILLE l'automne dernier, le message terminé, je n'avais presque rien copié, c'était beaucoup trop rapide pour le jeune opérateur que j’étais. J'ai demandé répétition du message et en deux codes : « Veuillez manipuler plus lentement et répéter les mots ou groupe deux fois ».

Mon correspondant s’est mis à manipuler plus lentement en répétant les groupes deux fois. Il était de toutes façons très important, que le message soit reçu. J'ai collationné le message, comme cela devait se faire.... au final tout était bon. J'étais satisfait et cela ma donné confiance pour une première fois. C’était le début de nombreux autres messages reçus ou transmis au fil des mois et des années.

Il faut signaler que le trafic en Morse, dans des régions comme l'Extrême-Orient, est beaucoup plus difficile à intercepter qu'en Europe, car il y a pratiquement toujours des perturbations atmosphériques, d’où des crachotements à la réception.

 

Durant le séjour de 29 mois, je me suis perfectionné par de nombreux contacts et trafic en Morse. D'abord, en déplacement à pied en opération, (on marchait toute la journée avec seulement 2 à 3 heures de pause la nuit) l’émetteur-récepteur, un SCR 284 porté sur le dos ainsi que la génératrice à main. Nous étions deux opérateurs radios, l'un portait l’émetteur-récepteur, l'autre la génératrice. Le tout était très lourd, plus un fusil US 17 ou bien une mitraillette sten..... Arme plus de sécurité pour les radios que vraiment efficace, car on aurait bien été en peine de les utiliser en cas de péril avec tout ce barda si lourd.

Mon baptême du feu a eu lieu lors d'une opération en 1949, à ce moment-là on m'a demandé de mettre en œuvre la liaison radio.. en phonie cette fois.

Ces opérations dans la rizière ou en forêt, opérateur radio détaché à la légion étrangère ou à l'infanterie, ont duré la moitié de mon séjour de 30 mois. L'autre partie du séjour, j'ai été affecté radiotélégraphiste dans un poste à Takéo au Cambodge. C'est là que j'ai appris à me débrouiller pour l'alimentation de la station sur accumulateurs au plomb qui étaient rechargés par un petit groupe dont je ne me souviens plus du nom. Peut-être était-ce un groupe BRIBAN ?

En 1951, c'était le retour en France.

Confirmé dans ma spécialité d'exploitant radiotélégraphiste par l'obtention de plusieurs certificats et diplômes, j'ai été instructeur radio pendant mon séjour de deux ans dans les forces françaises en Allemagne.

En 1954, j'ai été envoyé de nouveau d'office en Indochine pour deux ans.

De 1956 à 1959, c'était un séjour en Algérie.

Après, de nouveau affecté dans les forces françaises en Allemagne et, pour terminer, affecté en France de 1964 à 1966. Pendant tous mes séjours hors de France, c'était toujours la Radiotélégraphie.

En 1966, j'ai quitté l'Armée et j'ai passé un concours d'Agent des transmissions. C’est ainsi que j’ai continué à œuvrer dans la radio jusqu'en 1982.

Dra El Mizan - Algérie 1957
Etablissement d'une liaison à l'arrière d'un Dodge

En 1982, j'ai quitté avec regret la radio, affecté à un autre travail qui n'avait plus rien à voir avec la radio, jusqu'à ma retraite en 1990.

En 1984, je me suis intéressé de nouveau à la radiotélégraphie. J'ai acheté un récepteur SP 600 de Kenwood et j’ai écouté le trafic des radioamateurs pendant plusieurs années.

Car si j'avais 36 ans de pratique de radiotélégraphie, je n'avais que peu de notions du trafic des radioamateurs, même si j'en avais entendu quelques-uns trafiquer durant mes années de pro.

En 1986, j'ai rejoins les radioamateurs avec le certificat de classe 1, avec les indicatifs successifs jusqu'à ce jour de F1LBD, FD1LBD, FE1LBD et F5LBD.

Au début de 1989, j'ai pensé à diffuser un cours de télégraphie sur les ondes courtes.

Prudent, j'ai d'abord demandé l'autorisation à l'Administration, autorisation que j'ai obtenue par écrit.

Ensuite, j'ai mis au courant les Présidents de l' Union Française des Télégraphistes et du Réseau des Emetteurs Français de mon initiative.

Courant de l'été 1989, j'ai annoncé les cours de radiotélégraphie dans les revues radioamateurs et, un lundi d'octobre 1989, le cours CW a débuté ; il s'est poursuivi jusqu'au début de 2006.

Au début en 1989, il y avait peu de radioamateurs qui venaient faire un contact après la diffusion du cours CW pour m'encourager, quatre ou cinq seulement. Après un an, ce nombre a augmenté jusqu'à être de plus de 15 radioamateurs hommes et femmes.

Tout au long de ces années, ce nombre a bien sûr varié, des radioamateurs ont cessé de venir, d'autres sont venus. Mais le noyau d'amis fidèles des débuts est resté, à peu de chose près, le même.

Un ami SWL Edouard F-11699 est venu à mon écoute pendant des années, il m'a envoyé presque chaque semaine un compte rendu du cours et des QSO (contacts).

Edouard, mon ami Edouard a hélas été emporté, il y a quelques années. S'il est au paradis des radioamateurs, il l'a bien mérité pour sa fidélité à la Radio.

Conclusion

Disposer de télégraphistes en 1948, pour les administrations ainsi que pour l'Armée, c’était important.

Plus rien de tel aujourd'hui, puisque la radiotélégraphie est entièrement supprimée des Administrations, sauf peut-être pour l'Armée ?

Seuls les radioamateurs peuvent (et devraient) faire perdurer ce Mode, moins performant certes que les technologies les plus récentes en matière de communications mais cependant encore très performant et surtout très économique.

De plus, c'est encore un Mode auquel on a recours, si les autres modes tombent en panne. Cela s'est déjà produit.

N'importe qui est capable d'apprendre le Morse audio, mais cela peut ne pas plaire à tout le monde. En ces années 50, que cela plaise ou pas, dans l'Armée, parfois il fallait l'apprendre, c'était une nécessité.

Je n'ai jamais connu un opérateur, qui ayant appris le Morse et l'ayant pratiqué ait eu à le regretter, bien au contraire. Cela a toujours été et restera 'un plus' pour celui qui étudie et pratique la radio comme les radioamateurs.

Même si, de nos jours, d'autres modes sont plus performants ils ne sont certainement pas plus fiables..

Michel F5LBD

 

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